Dans le troisième volet de son sixième rapport d’évaluation, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a résumé les recherches scientifiques les plus récentes relatives à l’atténuation du changement climatique, c’est-à-dire à la diminution de nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Les deux premiers volets portaient respectivement sur les causes et les impacts du changement climatique. Si le deuxième volet, publié en mars 2022, abordait un peu la question du prix carbone et du revenu climatique, il ne s’agissait que d’un « apéritif » avant le plat principal, représenté par le troisième et dernier volet, le plus pertinent pour Citizens’ Climate Lobby (CCL).
Certains articles dans les médias ont synthétisé le message du rapport avec la formule suivante : pour l’action climatique, c’est « maintenant ou jamais ». S’il est vrai que l’objectif ambitieux des 1,5°C fixé par l’accord de Paris est en train de s’éloigner rapidement, il est important de comprendre qu’il ne sera jamais trop tard pour atténuer les effets du changement climatique. Le climat d’un monde à 1,8°C est plus vivable que celui d’un monde à 2°C, qui serait meilleur que celui d’un monde à 2,2°C, et ainsi de suite. S’il est vrai qu’il y a urgence pour qu’une politique climatique soit mise en place, il y aura toujours une occasion pour laisser aux générations futures un monde meilleur que celui qui adviendrait si nous abandonnions. C’est pourquoi de nombreux scientifiques s’opposent aux discours contre-productifs évoquant une condamnation face à la crise climatique.
Mais le rapport du GIEC indique clairement à quel point il est important que les différents États adoptent une politique climatique la plus solide possible, en incluant idéalement un prix sur le carbone. Voici ce que le GIEC avait à dire sur le prix carbone et le revenu climatique, une sélection parmi les 680 mentions aux politiques de tarification du carbone du rapport (avec les numéros de chapitre indiqués entre parenthèses).
La tarification du carbone est efficace pour réduire les émissions de GES
Comme les bénévoles de CCL le savent bien, un prix significatif du carbone serait la mesure politique la plus efficace pour réduire nos émissions de GES. Les experts du GIEC s’accordent à dire que la tarification du carbone est efficace et efficiente, d’abord en théorie :
« La théorie économique suggère que les politiques de tarification du carbone sont dans l’ensemble plus rentables que les réglementations ou les subventions pour réduire les émissions » [13.6.3.3]
« Il est largement admis que les taxes sur le carbone peuvent [être] efficaces pour réduire les émissions de CO2 » [9.9.3.1]
« …il y a des raisons de croire que la tarification du carbone est le moyen le plus efficace de réduire les émissions… » [5.6.3]
Et ensuite dans la pratique :
« Il existe de nombreuses preuves que les politiques de tarification du carbone permettent de réduire les émissions. Les études statistiques comparatives des tendances des émissions dans les juridictions avec et sans tarification du carbone trouvent un impact significatif, même en excluant l’influence d’autres mesures et facteurs structurels. De nombreuses évaluations de politiques spécifiques, notamment l’ETS européen et la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique, concluent que la plupart d’entre elles ont réduit les émissions » [13.6.3.3]
« Parmi le large éventail d’instruments de politique climatique, la tarification du carbone, sous forme de taxe carbone ou de système d’échange de quotas d’émission (ETS), est l’une des options les plus utilisées et les plus efficaces pour réduire les émissions de GES […] les pays qui appliquent un prix sur le carbone affichent une croissance des émissions annuelles de CO2 inférieure de 2% par rapport aux pays n’ayant pas adopté de telles politiques. Une évaluation plus complète des prix du carbone montre que les pays avec un prix du carbone élevé ont tendance à avoir des économies plus efficaces vis-à-vis de leurs émissions carbone » [2.8.2]
Le rapport du GIEC note également que la tarification du carbone peut produire de nombreux autres avantages indirects, notamment des bénéfices pour la santé grâce à un air plus pur et une amélioration de la sécurité énergétique et de la stabilité des prix en réduisant la dépendance à l’égard des combustibles fossiles instables (passage suivant mis en gras par l’auteur) :
« Alors que les politiques de tarification du carbone sont efficaces pour réduire les émissions de GES, elles génèrent généralement aussi des co-bénéfices, notamment une meilleure qualité de l’air. Par exemple, une étude chinoise sur les avantages pour la qualité de l’air causés par une moindre utilisation des combustibles fossiles dans le cadre d’une tarification du carbone suggère que les co-bénéfices potentiels pour la santé compenseraient partiellement voire totalement le coût de la mesure. Selon la juridiction (par exemple, s’il existe des subventions aux combustibles fossiles), la tarification du carbone pourrait également réduire les distorsions économiques causés par les subventions pour les combustibles fossiles, améliorer la sécurité énergétique grâce à un usage accru des sources d’énergie locales et réduire l’exposition à la volatilité du marché des combustibles fossiles. Une tarification du carbone serait dans l’intérêt de nombreux pays si les co-bénéfices étaient pleinement pris en compte » [13.6.3.3]
Le revenu climatique est important
Le rapport aborde également l’importance de coupler la tarification du carbone à une redistribution des recettes (par exemple sous forme de revenu climatique), afin de s’assurer que les ménages à faibles revenus ne soient pas indûment pénalisés par les efforts déployés pour lutter contre la crise climatique et de garantir que la mesure politique reste populaire. Une redistribution des recettes a également d’autres bénéfices, tel que la réduction de la pauvreté :
« La redistribution des recettes fiscales est essentielle pour remédier aux effets négatifs sur les groupes à faibles revenus » [13.6.3.3]
« Les impacts distributifs des mesures de tarification du carbone peuvent être neutralisés en utilisant les revenus de la taxe sur le carbone ou de l’ETS pour soutenir les ménages à faibles revenus, entre autres approches » [E.4.2]
« Les voies d’atténuation dans lesquelles la redistribution nationale des revenus de la tarification du carbone est combinée au financement international du climat permettent de réduire la pauvreté au niveau mondial » [3.7.1.1]
« La tarification du carbone est plus efficace si les recettes sont redistribuées ou utilisées de manière impartiale. Quand les recettes d’une tarification carbone sont affectées à des investissements verts ou reversées aux contribuables de manière percevable, conformément à des notions d’équité largement partagées, cela accroît l’acceptabilité politique de la tarification du carbone » [5 – Résumé]
« Restituer les revenus aux individus d’une manière perceptible peut accroître le soutien du public et atténuer les propositions d’équité, si l’information est suffisante. La perception de l’équité est l’un des facteurs prédictifs les plus forts du soutien politique à une mesure » [5.6.3]
Il est également important de complémenter la tarification du carbone avec un ajustement frontalier
Le GIEC évoque plusieurs raisons importantes pour compléter la tarification du carbone avec un mécanisme d’ajustement aux frontières du carbone (en anglais Carbon Border Adjustment Mechanism, CBAM). L’une de ces raisons est la « fuite de carbone », c’est-à-dire le fait qu’une entreprise transfère sa production d’un pays avec un prix carbone vers un pays sans afin de réduire les coûts, évitant ainsi l’incitation financière à réduire les émissions. À ce sujet, le rapport note :
« [La tarification du carbone] nuit à la compétitivité des secteurs qui doivent faire face à des importations en provenance de pays où le prix du carbone est moins élevé, ce qui entraîne une « fuite de carbone » si la production à forte intensité de carbone (et les emplois correspondants) migre depuis des pays où le prix du carbone est relativement élevé. Les recherches confirment qu’une taxe carbone à la frontière (ou un ajustement), fixée sur la base de la teneur en carbone des produits importés, comprenant également un ajustement à la baisse sur la base de tout paiement carbone (taxes ou autres) déjà effectué avant l’entrée, pourrait réduire la fuite de carbone tout en générant des recettes supplémentaires et en encourageant la mise en place d’une tarification du carbone dans le pays exportateur » [4.4.1.8]
« Avec la hausse asymétrique des prix du carbone, les discussions sur les mécanismes politiques spécifiques visant à lutter contre les fuites de carbone, comme les ajustements carbone à la frontière, ont été amplifiées » [6.3]
« [Les CBAMs] sont de plus en plus envisagés par les décideurs politiques pour lutter contre les fuites de carbone et créer des conditions de concurrence équitables pour les produits fabriqués dans une juridiction où le prix du carbone est nul ou inférieur. Le 14 juillet 2021, la Commission européenne a adopté une proposition de CBAM qui impose aux importateurs d’aluminium, de ciment, de fer et d’acier, d’électricité et d’engrais d’acheter des certificats au prix de l’EU ETS pour les émissions intégrées dans les produits importés » [11.6.1]
La tarification du carbone stimule l’innovation
Les nouvelles innovations technologiques peuvent contribuer à accélérer la réduction des émissions de carbone à moindre coût. En tant que telle, la stimulation de l’innovation est l’une des approches préférées des conservateurs pour lutter contre le changement climatique. À ce sujet, le GIEC indique que la tarification du carbone constitue une incitation financière essentielle pour stimuler l’innovation :
« une taxe sur le carbone qui encourage les changements vers des technologies propres accroît la compétitivité des technologies propres non seulement au niveau local, mais aussi à l’étranger » [16.2.2.2]
« un prix du carbone qui corrige l’externalité des émissions de GES est suffisant pour induire un changement vers des technologies vertes à un niveau optimal. » [16.2.3.4]
« En combinaison avec d’autres politiques, telles que les subventions ou la R&D publique sur les technologies permettant d’économiser des ressources, une taxe carbone bien conçue peut stimuler les investissements dans les technologies à faible émission de carbone et efficaces dans l’utilisation des ressources » [15.6.2]
Il n’y a pas de solution miracle ; les politiques complémentaires doivent aider la tarification du carbone
Bien qu’un prix significatif du carbone soit la mesure la plus efficace pour réduire les émissions, comme le CCL le reconnaît depuis longtemps, il ne suffirait pas à lui seul à résoudre la crise climatique. Il n’y a pas de solution miracle, et les rapports du GIEC indiquent que d’autres politiques peuvent servir de compléments essentiels à un prix du carbone :
« Les études sur la tarification du carbone montrent que des politiques supplémentaires sont souvent nécessaires pour stimuler des réductions d’émissions suffisantes dans le secteur des transports » [2.8.3.2]
« gagner le soutien politique nécessitera un ensemble de mesures allant au-delà de la tarification du carbone et comprenant des subventions, des réglementations et des bonus/malus » [3.8.4]
« de nombreux chercheurs reconnaissent que des politiques complémentaires doivent être élaborées pour orienter les modes de production et de consommation actuels vers une voie compatible avec la réalisation des objectifs de l’accord de Paris, car les taxes carbones et les ETS ne suffisent pas » [11.6.1]
À titre d’exemple, les auteurs du GIEC notent que la tarification du carbone peut encourager les gens à réduire leur empreinte carbone en s’installant dans les villes, mais que le coût élevé du logement urbain peut rendre ce choix inabordable pour de nombreuses personnes [4.4.1.9]. La mise en œuvre de politiques de logement pertinentes peut compléter la tarification du carbone dans le but de surmonter cet obstacle. D’autres politiques, comme les subventions aux technologies propres (par exemple pour les véhicules électriques et les pompes à chaleur), peuvent également faciliter leur adoption, rendant ainsi la tarification du carbone plus acceptable. Des recherches ont montré que, une fois appliquées, ces mesures ont souvent favorisé l’adoption de la tarification du carbone dans les pays qui n’en avaient aucune.
La tarification du carbone a été mise en place trop rarement et de manière inefficace
Bien que la tarification du carbone soit une excellente mesure climatique, le GIEC note qu’il y a beaucoup trop peu d’exemples de sa mise en application dans le monde. Et dans de nombreux endroits où la politique a été implémentée, le prix du carbone a été fixé trop bas pour réduire efficacement les émissions :
« Si la couverture des ETS et des taxes sur le carbone est passée à plus de 20 % des émissions mondiales de CO2, la couverture et le prix sont inférieurs à ce qui est nécessaire pour obtenir des réductions importantes » [13 – Résumé]
« Le prix carbone a tendance à être trop bas dans de nombreux cas et l’ampleur et la fréquence des changements des prix n’ont pas été suffisantes pour stimuler de nouvelles réductions d’émissions » [2.3.8.1]
« La Commission de Haut Niveau sur la Tarification du Carbone a estimé que la fourchette de prix appropriée était de 40 à 80 USD/tCO2 en 2020, avec une augmentation régulière par la suite. Dans la pratique, la couverture et le prix carbone des tarifications mises en œuvre à ce jour sont bien inférieurs à cette estimation ou à ce que la plupart des analyses économiques recommandent aujourd’hui. » [1.8.2]
C’est le moment !
Enfin, le rapport du GIEC note que le moment est venu de résoudre ce problème en mettant en œuvre des politiques climatiques majeures tel qu’un prix carbone couplé à un revenu climatique. Non seulement le temps presse pour atteindre les objectifs de Paris, mais le monde est en plus confronté aux problèmes majeurs liés aux combustibles fossiles que sont l’inflation et la guerre en Ukraine, ce qui fait que nous avons une fenêtre d’opportunité unique :
« Le moment auquel les réformes de la tarification du carbone sont mises en place est également important : elles ont plus de chances de réussir si elles exploitent les opportunités offertes par les événements qui sensibilisent aux coûts des émissions de carbone (comme les épisodes de forte pollution atmosphérique locale ou les rapports sur le rôle des émissions dans le réchauffement de la planète), ainsi que le momentum des actions climatiques menées par d’autres pays et les accords internationaux sur le climat » [4.4.1.8]
« une étude portant sur 66 mesures de tarification du carbone mises en œuvre montre des effets importants … lorsque les fenêtres d’opportunité politiques sont saisies » [1.8.2]
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Cet article est la traduction française de celui publié sur la page internationale du Citizens’ Climate Lobby (CCL).
Article original par Dana Nuccitelli, coordonnateur recherche chez CCL. Dana Nuccitelli a également résumé les conclusions de ce troisième volume sur le site Yale Climate Connections. Traduction par Marin, Sidonie et Grégoire, bénévoles chez CCL France.