La taxe carbone pourrait devenir un revenu universel pour les Français

La taxe carbone pourrait devenir un revenu universel pour les Français 720 480 Lobby Climatique Citoyen - CCL France

Par Erwan Manac’h pour Reporterre

21 juillet 2025

Photo © Romain Costaseca / Hans Lucas via AFP

Alors que le Premier ministre a annoncé une nouvelle cure d’austérité le 15 juillet, des ONG poussent pour l’instauration d’un « revenu carbone », qui permettrait de réconcilier écologie et justice sociale.

Plusieurs centaines d’euros, versés directement sur le compte bancaire de chaque Français ? L’idée de ce complément de revenu universel refait surface depuis quelques mois, portée par des associations de la galaxie écologiste, comme un moyen d’amortir les conséquences sur les factures des taxes et autres mécanismes renchérissant les énergies fossiles.

En Europe, les interventions se multiplient pour réclamer, d’urgence, le déploiement d’un tel « revenu carbone ». À partir de 2027, la Commission européenne va soumettre l’essence, le gaz et le fioul au mécanisme des « quotas carbone », déjà opérant pour les sites industriels depuis 2005, dans le but d’atteindre son objectif de neutralité carbone en 2050. Avec ce nouveau marché carbone, appelé « ETS2 », pour « Emission trading system » (Système d’échange de quotas d’émission), les compagnies pétrolières devront acheter aux enchères des permis de polluer, dont le prix sera répercuté sur celui de l’essence et les factures de fioul et de gaz.

Forte hausse du prix de l’essence

L’effet devrait être progressif, mais considérable : entre 160 euros et 200 euros par an selon les estimations, voire bien plus pour les ménages qui se chauffent au fioul et roulent avec des vieilles voitures. L’essence pourrait prendre 15 centimes d’euro et le diesel 17 centimes, selon un calcul des services du ministère de l’Énergie cité par Contexte.

« En s’additionnant avec l’impact d’autres mécanismes, comme les certificats de production de biogaz et les certificats d’économie d’énergie qui seront eux aussi répercutés sur les factures, la hausse sera équivalente à celle observée pendant la crise énergétique de 2022 », dit le réseau Cler, une association engagée dans la transition énergétique. Les Français ont déboursé cette année-là 680 euros en moyenne en plus sur leurs factures d’énergie. La douloureuse aurait même été de 1 190 euros supplémentaires, sans le déploiement par l’État d’un « bouclier tarifaire » qui a coûté cher aux finances publiques.

« Une taxe sur le carbone offre le levier le plus rentable pour réduire les émissions »

Cette perspective ravive le souvenir traumatique, pour le pouvoir, des Gilets jaunes. En novembre 2018, ce mouvement massif avait surgi hors du champ syndical et politique traditionnel, en réaction à la hausse du prix des carburants, amplifiée par l’augmentation planifiée de la taxe carbone de 3,9 centimes par litre d’essence et 7,6 centimes sur le gazole. Des mois de convergence, de manifestations et d’émeutes avaient rendu visible la paupérisation des classes moyennes et populaires.

Déjà, la hausse des dépenses liées à la voiture individuelle était le principal carburant de la lutte de « la France des ronds-points ». Et la situation reste inflammable : le coût d’usage d’une voiture a grimpé de 14 % de 2017 à 2022 selon le Réseau Action Climat et 15 millions de Français n’arrivent pas à faire face à leurs dépenses de transport.

Difficile, pourtant, d’imaginer faire bifurquer l’économie sans taxer les activités polluantes. L’impôt a le double avantage de rapporter de l’argent aux États pour financer la transition et de rendre plus coûteux les comportements polluants. C’est ce que les économistes appellent le « signal prix ». C’est moche, mais ça marche, disent les experts et écologistes de tous bords. « Une taxe sur le carbone offre le levier le plus rentable pour réduire les émissions de carbone », affirmaient 3 600 économistes dans une tribune en faveur du revenu carbone, aux États-Unis, en 2019.

Ces pays qui redistribuent déjà

Pourquoi, alors, ne pas redistribuer les gains générés par l’ETS2 — soit une manne considérable de 7 à 9 milliards d’euros annuels pour la France, tout de même — pour éviter la bronca ? Le Canada, l’Autriche et la Suisse ont déjà passé le pas et redistribuent, depuis plusieurs années, tout ou partie du profit de leur taxe carbone.

Au Canada, la « remise carbone » représente 228 dollars canadiens (142 euros) par trimestre pour un résident l’Alberta, dans l’ouest du pays, avec un « supplément rural » de 20 % alloué aux personnes éloignés des centres urbains.

Le « Klimabonus » autrichien offrait également depuis 2022 une prime aux personnes vivant loin des réseaux de transport en commun, permettant de doubler le montant du virement bancaire, de 500 euros à 970 euros. Il a été supprimé en 2025 par le gouvernement pour faire des économies, le Conseil fiscal autrichien estimant que la somme distribuée était supérieure aux recettes.

Bonus rural ?

En France, l’intérêt pour cette idée est renforcé par la montée de la rhétorique anti-écologiste, portée par l’extrême droite, qui fait déjà de la cherté de l’énergie un thème prioritaire. L’association Lobby climatique citoyen promeut une version maximaliste du revenu carbone. Sur le modèle canadien, elle propose de reverser la totalité du bénéfice de la taxation du carbone, par virement bancaire.

Le montant pourrait être modulé selon les revenus ou l’éloignement des centres-villes, ou être identique pour chaque citoyen : « Comme les riches consomment plus, ils payent aussi plus de taxe carbone, ce qui rétablit une forme d’équité même avec une redistribution uniforme de la tarification carbone », dit Marin Chaveyriat, chargé de plaidoyer pour l’association. Le laboratoire d’idées Terra Nova, réputé social-libéral, le Secours catholique, ou encore l’ONG Transport & Environment, insistent également sur la nécessité de reverser une part significative de la manne.

Le réseau Cler propose une formule « simple, forte et lisible », dit son responsable de projets Europe, Étienne Charbit, qui serait valable pour l’argent de l’ETS2 comme des autres dispositifs pesant sur les factures énergétiques. Elle se résume en un slogan : « Pour 1 euro d’argent public investi dans la transition, 1 euro redistribué via un revenu carbone universel et progressif. » Le paiement direct sur le compte bancaire de chaque ménage que préconise l’association serait augmenté pour ceux qui payent beaucoup d’impôts sur l’énergie, avec un « bonus rural ».

« Ce sera efficace si on sait où va l’argent »

Redistribuer est certes indispensable, mais il est surtout crucial que cela se voie, dit Phuc-Vinh Nguyen, chef du centre énergie de l’Institut Jacques Delors : « Si on loupe la partie communication, malheureusement, le dispositif et son acceptabilité risquent d’être compromis. Il faudrait par exemple imaginer une plateforme qui permette de tracer l’ensemble des revenus de l’ETS2 par souci de transparence. »

Il s’agit aussi de garantir que les gouvernants ne détournent pas l’argument écolo pour faire les poches des contribuables, abonde Daphné Chamard du Secours catholique : « Dans un quotidien déjà surchargé de taxes qu’on n’arrive pas à payer, l’enjeu prioritaire, c’est la transparence de l’utilisation des fonds. Ce sera efficace si on sait où va l’argent et qu’on juge cela efficace. »

Le réseau Cler préconise donc d’éviter de distribuer cet argent par les leviers habituels : une hausse du chèque énergie, ou, pire, une baisse de la fiscalité sur les énergies fossiles (essence, gazole, fioul ou gaz naturel), qui annulerait purement et simplement l’efficacité de cette nouvelle taxation du carbone.

Le consensus a conduit la Commission européenne à prévoir la redistribution dès la rédaction de la réglementation. Un « fonds social pour le climat », doté de 1,2 milliard d’euros par an, doit être mis à disposition des États dès 2026 pour qu’ils préparent le choc d’ETS2, un an avant son entrée en vigueur. La somme reste néanmoins modeste au regard des enjeux et seulement 37 % peuvent légalement être reversés directement aux citoyens.

Désaccords au gouvernement

Ni les ministères de la Transition écologique, ni Matignon, ni l’Élysée qui semble piloter directement l’affaire, non sans fébrilité, ne communiquent sur le sujet, mais plusieurs acteurs témoignent d’une guerre d’influence, au sein du gouvernement. Distribuer ou non, tout ou partie de la manne ? Profiter d’ETS2 pour renflouer les caisses de l’État ? S’opposer à Bruxelles et freiner l’entrée en vigueur du dispositif, pour donner des gages à l’extrême droite ? « Tout le monde tire sur la couverture », résume un observateur.

Interrogé par Reporterre au cours d’une conférence de presse, le 9 juillet, le ministre des Transports Philippe Tabarot n’a pas masqué son embarras, témoignant de l’existence d’une fracture au sein du gouvernement : « C’est à ma collègue Agnès Pannier-Runacher [ministre de la Transition écologique], que je ne veux surtout pas froisser, de dire ce qu’elle souhaite en lien avec le Premier ministre et le président. Je ne me prononcerai pas, pour ne pas ajouter à la polyphonie [gouvernementale]. »

L’heure est à la procrastination. Les États avaient jusqu’au 1er juillet pour remettre à la Commission européenne un « plan social pour le climat » détaillant les actions envisagées dès 2026 avec l’argent du fonds social pour le climat. Ni la France, ni aucun pays européen engagé dans le processus, n’ont honoré l’échéance. La République tchèque a demandé un report d’ETS2 et des voix s’élèvent pour demander des retouches techniques pour que le prix de la tonne de CO2 reste indolore, afin d’éviter la glissade inflationniste.

En attendant les arbitrages, la France n’a toujours pas transposé dans son droit national la directive européenne sur l’ETS2. Une telle étape, cruciale, devra passer par un débat à l’Assemblée nationale, où le « bloc central » se fissure sur les sujets d’écologie. La droite et l’extrême droite profitent d’un boulevard pour jouer une partition contre une « écologie punitive », comme l’a déjà montré le fiasco du récent débat sur l’énergie à l’Assemblée. Ce poids considérable gagné par l’extrême droite démontre, selon les partisans du revenu carbone, l’urgence d’imaginer des solutions capables de marquer les portefeuilles aussi bien que les esprits.

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